« Soignants trahis », la colère gronde chez les professionnels de santé libéraux. Reportage
Il est 10 heures en cette matinée du 1er juillet et il fait plein soleil. Les barnums sont déjà montés sur cette portion judicieusement choisie de l’esplanades des Invalides, bordée de tilleuls. Outre l’ombre apportée, l’Assemblée nationale est à deux pas…
Pharmaciens, chirurgiens-dentistes, kinésithérapeutes, médecins spécialistes… , à l’appel de 14 organisations syndicales* de professionnels de santé libéraux, réunies sous le collectif « soignants trahis », ils sont venus protester haut et fort contre la récente annonce de gel tarifaire de leurs honoraires par l’Assurance maladie pour cause de dérapage des dépenses de santé. Ou, pour les pharmaciens, dénoncer des mesures unilatérales d’économies envisagées par les pouvoirs publics.
Gel tarifaire de 6 mois
En résumé, les accords conventionnels respectifs signés entre la Cnam et les différentes organisations syndicales représentatives de plusieurs professions de santé libérales prévoyaient une série de revalorisations. Certaines étaient programmées au 1er juillet. Mais c’était avant l’avis du Comité d’alerte sur l’évolution des dépenses d’assurance maladie rendu à la mi-juin. Créé par la loi du 13 août 2004, cet organisme est chargé d’alerter le Parlement, le Gouvernement et les caisses nationales d’assurance maladie en cas d’évolution des dépenses d’assurance maladie incompatible avec le respect de l’objectif national (Ondam) voté par le Parlement. Et en l’occurrence, pour 2025, « le Comité identifie un risque de dépassement de l’Ondam supérieur à 1,3 milliards d’euros, en raison de dépenses de soins de ville dynamiques », peut-on lire sur le site du ministère de la Santé. Corollaire immédiat : un gel tarifaire d’une durée de six mois.
Coup de canif dans la convention
Une décision qui reste définitivement en travers de la gorge du nombre croissant de manifestants, dont beaucoup de jeunes, qui continuent à émerger de la station de métro Invalides, dans le 7ème arrondissement de la capitale. Nombre d’entre eux arborent sur leurs T-shirts des slogans qui ne laissent aucun doute sur le motif de leurs revendications : « soignants trahis », « l’inflation nous écrase » ou encore « on en a gros », en référence à la série Kaamelott, d’Alexandre Astier. « Cette décision unilatérale de gel de la part de la Cnam est inadmissible », témoigne cette jeune kiné des Hauts-de-Seine. « C’est un vrai coup de canif dans la convention », poursuit sa collègue à ses côtés, alors que plusieurs parlementaires se portent à leur rencontre, dont l’ancienne ministre de la Santé, Agnès Firmin Le Bodo et Corinne Imbert, secrétaire de la commission des affaires sociales du Sénat, toutes deux pharmaciennes de profession.
Rencontre avec le ministre
Mais il est temps pour le cortège de s’ébranler. Direction le ministère de la Santé, avenue de Ségur, où une rencontre est prévue avec l’actuel locataire des lieux, Yannick Neuder. Les différents dirigeants syndicaux seront reçus pendant près d’une heure. « L’atmosphère était cordiale, cependant le ministre nous a rappelé que le gel des avancées tarifaires était automatique à partir du déclenchement du Comité d’alerte », confie un chef de file syndical au sortir de la réunion. Pour autant, le ministre aurait proposé aux parties prenantes d’organiser un rendez-vous, en sa présence, entre les organisations syndicales et le DG de la Cnam. Avec une possible voie de passage pour ces professionnels de santé libéraux ? Les manifestants rappellent simplement vouloir « des tarifs décents pour une santé de qualité ».
* Alizé (kinés), CDF (chirurgiens-dentistes), CNSA (ambulanciers), CSMF (médecins), FFMKR (kinés), FMF (médecins), FNEK (kinés), FSPF (pharmaciens), MG France (médecins), ONSSF (sages-femmes), SDA (audioprothésistes), SNAO (orthoptistes), SNMKR (kinés) et USPO (pharmaciens).
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Les missions du Comité d’alerte sur l’évolution des dépenses d’assurance maladie
Le Comité est chargé d’alerter le Parlement, le Gouvernement et les caisses nationales d’assurance maladie en cas d’évolution des dépenses d’assurance maladie incompatible avec le respect de l’objectif national voté par le Parlement.
- Le Comité d’alerte est placé auprès de la Commission des comptes de la sécurité sociale. Il est composé du secrétaire général de la Commission des comptes de la sécurité sociale, du directeur général de l’Institut national de la statistique et des études économiques et d’une personnalité qualifiée nommée par le président du Conseil économique et social.
- Chaque année, au plus tard le 1er juin, et en tant que de besoin, le Comité rend un avis sur le respect de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) pour l’exercice en cours. Il analyse notamment l’impact des mesures conventionnelles et celui des déterminants conjoncturels et structurels des dépenses d’assurance maladie. Le risque de dépassement est jugé sérieux si son ampleur prévisible est supérieure à un seuil fixé par décret et qui ne peut excéder 1%. Initialement fixé à 0,75 %, ce seuil sera progressivement abaissé à 0,5 % d’ici 2013. De manière transitoire, il s’établit à 0,7 % en 2011 et à 0,6 % en 2012. (voir le décret n° 2011-432 du 19 avril 2011).