Tous les Ordres ont été touchés par cette crise sans précédent. Nous nous sommes tous retrouvés "dans le dur" face à des enjeux de santé publique à la fois majeurs et inédits. Dès le début de la pandémie, nous avons su penser et agir collectivement, par exemple pour mutualiser des équipements de protection individuels : quand les dentistes, les kinés et les podologues ont fermé, ils ont mis à disposition leurs équipements aux infirmiers. Plus tard, nous nous sommes mobilisés pour inviter l’ensemble des professionnels de santé à se faire vacciner. Il y a eu une vraie solidarité et un vrai travail en équipe.
Elle est toujours mobilisée et volontaire, mais aussi désabusée et fatiguée. Que ce soit à l’hôpital, en EHPAD, en milieu scolaire, en entreprise, ou au domicile des patients, les 700 000 infirmières et infirmiers que compte notre pays poursuivent leur mission.
Depuis près de 2 ans de crise sanitaire, la profession est également fortement impliquée pour soigner, accompagner et surveiller des patients atteints du covid, mais aussi pour vacciner la population, notamment au sein des différents centres de vaccination, où participent à la fois des étudiants, des retraités mais aussi des actifs, libéraux comme salariés. Durant l’été, beaucoup d’infirmiers qui normalement auraient dû être en vacances, ont continué à travailler. Cette débauche d’énergie n’est pas sans conséquence.
La problématique de l’épuisement professionnel, qui était latente depuis plusieurs années, est aujourd’hui de plus en plus prégnante : des services hospitaliers sont aujourd’hui fermés par manque de personnel. Les résultats des enquêtes que nous menons sont inquiétants : 4 infirmiers sur 10 nous disent qu’ils envisagent de quitter la profession à l’horizon de cinq ans, près de 40% nous disent qu’ils sont au bord du burn-out… Tous nous décrivent une situation qui est aujourd’hui plus compliquée qu’avant la crise.
Il n’appartient pas à l’Ordre de se prononcer sur la revalorisation salariale, même si on peut relever que la France, qui était au 25è rang international concernant le barème de rémunération des infirmiers, se situe désormais dans les 15 premiers. Il y a donc eu une évolution substantielle de la rémunération. Pourtant, malgré cela, un an après, on observe toujours des départs et des reconversions, ce qui prouve bien que le sujet n’est pas que financier. Il y a aussi la question essentielle de la reconnaissance des métiers du soin. Au regard de tout ce que les infirmiers ont réalisé depuis le début de la crise, on voit bien qu’on a besoin d’ouvrir la porte vers une définition plus large des compétences de la profession.
J’en suis persuadé. Selon la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DRESS), il y a environ 700 000 infirmiers en France. Aujourd’hui, 100 000 bacheliers s’inscrivent au concours, via ParcourSup’, 35 000 intègrent la formation et 25 000 sortiront diplômés. Or, toujours selon la DRESS, dans 20 ans, le pays devra pouvoir compter sur près d’un million d’infirmiers pour répondre aux besoins de santé. Donc il faut qu’on trouve une solution pour arriver à en attirer plus, à en former plus et surtout à en garder plus. Pour ceux qui sont déjà dans la profession, il faut être en mesure de leur proposer des perspectives d’évolution. Par exemple, beaucoup d’infirmiers ont une expérience clinique significative, une maîtrise de la pratique qui certes n’est pas universitaire, mais qui peut être complétée à l’université.
Oui, il s’agit d’une initiative que l’Ordre a soutenue et pour laquelle nous avons bataillé. Nous devrions compter environ un millier d’IPA l’année prochaine, c’est positif. Mais pour répondre efficacement aux besoins de santé de la population, l’évolution de la profession infirmière doit être globale.
Propos recueillis par François Petty
Crédit Photo : Nicolas Simon pour l'Ordre National des Infirmiers